pour baryton et quatuor à cordes

Musique : Thierry Lancino
Texte : Paul Claudel

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Les textes mis en musique dans cette oeuvre sont extraits de "l'Esprit et l'Eau", deuxième des "Cinq Grandes Odes" de Paul Claudel. Ils ont été redistribués et organisés, à l'image de l'œuvre entière, en cinq parties :

I Où que je tourne la tête...
II Possédons la mer ...
III Comme l'arbre au printemps ...
IV La terre, le ciel, le fleuve ...
V Où est le vent maintenant ?


COMMENTAIRE DU TEXTE DE PAUL CLAUDEL

I L'éveil « Où que je tourne la tête... »

[ Indication musicale : très simple et libre - agité ]

L'homme, tel un nouveau-né, est subjugué par ce qu'il voit lorsqu'il ouvre les yeux sur le monde. Il prend la mesure de la Création. Il mesure intérieurement l'immensité de l'Univers. Le chanteur est l'homme, seul, abasourdi.
Le monde semble s'éveiller brutalement et l'homme s'affaire, affolé par la sa variété. Il entreprend d'en dresser l'inventaire. D'abord la voûte céleste. Le soleil, " ce gros mouton ". Puis il recense les étoiles, de " l'Armée des Cieux " jusqu'aux galaxies les plus éloignées " jusqu'au feu le plus rare. " Le monde animal est évoqué, mais l'homme s'en détache par son intelligence qu'il sait déployer et tente de comprendre, il tend " l'immense rets de ma connaissance ". Mais il est troublé par les phénomènes naturels, " les éruptions du soleil…les raz-de-marée ". Il découvre alors sa dimension spirituelle et sa vocation d'Homme. Il prend conscience de l'Être à dimension divine " le vent qui se lève, le Semeur, le Moissonneur ", la dispersion fertile, le vie, la mort. Et il voit en l'eau le lien qui l'unit à l'Être " l'eau continue l'esprit " et établit la continuité entre l'homme et l'Être, " jusqu'à vous il y a comme un lien liquide ".

II L'action « Possédons la mer éternelle et salée…»

[ Indication musicale : sans jamais ralentir ]

Après cet éveil agité, ce choc initial colossal, l'homme, industrieux, s'engage dans une activité fébrile. Il tente de prendre possession de l'Univers " Possédons la mer éternelle et salée ". Il arpente de monde et le fait sien. Il s'approprie la création, pour toujours " Je me suis embarqué pour toujours ! ". Il pense en devenir le maître en la codifiant, " la carte et le portulan ". Il y construit son propre univers, mécanique " un coup de timbre aux machines, le break- water que l'on double ", mais il sent la Présence, toujours, avec lui " …et sous mes pieds, de nouveau, la dilatation de la houle ! ". Il jubile dans le partage de la Liberté avec la nature " Je joue, je partage la liberté de la mer omniprésente ! ". Il est proche de la nature, des animaux, des fleuves, des astres. Il est cependant aussi esprit, et ainsi que la goutte d'eau rejoint la goutte d'eau pour former l'océan, l'esprit de l'homme rejoint l'Esprit " … le souffle secret, l'esprit créateur … l'esprit de vie et la grande haleine pneumatique qui chatouille et qui enivre et qui fait rire " .

III La maîtrise « Comme l'arbre au printemps …»

[ Indication musicale : assez libre et méditatif ]

L'homme n'est pas immuable. Le temps intervient. Il y a le temps et les mutations. Il est charnel et donne naissance à la chair. Par là il devient le maître de sa destinée. Il engendre. " Comme l'arbre au printemps nouveau chaque année invente, travaillé par son âme ". Il s'approprie le monde dont il devient le maître. Les choses prennent enfin un sens, grâce à lui, " l'homme ", car il possède le pouvoir d'association " aucune chose ne reste plus seule ", car il " l'associe à une autre dans mon cœur ". Son appétit de possession n'a pas de limites et il veut être le propre maître de sa liberté " … que m'importe la porte ouverte si je n'en ai pas la clé ". C'est un cri de liberté cosmique.

IV L'Amour « Le terre, le ciel bleu, le fleuve …»

[ Indication musicale : rapide, en gardant le mouvement ]

Son activité inlassable ne le quitte pourtant pas. " Le village avec tous ces gens à deux yeux… ". Il s'organise " comme un orchestre qui joue ". Et les générations se succèdent, sans se tarir " Est-ce qu'on dit que la mer a péri parce que l'autre vague déjà, et la troisième, et la décumane, succède à celle-ci qui se résout triomphalement dans l'écume ? " Il s'interroge sur cette vague qui se résout et trouve sa liberté dans l'Amour. L'amour d'être à être qui remonte jusqu à l'Être éternel. Il ne le voit pas, mais il voit celui qui voit celui qui voit l'Être.

IV L'Espoir « Où est le vent maintenant ? »

[ Indication musicale : andante ]

L'homme se retrouve seul, au bout du chemin, après une existence de labeur sans relâche. Tout a disparu. " Il n'y a plus rien que le ciel toujours pur ". Il s'interroge devant ce vide " Où est le vent maintenant ? Où est la mer ? … Où sont les hommes ? " L'homme abandonne, car il sait " que la lutte est finie ". Il n'y a plus que " la Présence " et l'Espoir : " … et soudain le souffle de nouveau sur ma face ".


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Le texte s'est imposé à moi. Il m'est apparu comme le seul possible, dès sa première lecture, pour le projet qui m'était proposé. Non pas les " Cinq grandes Odes " dans son ensemble, ni même la deuxième odes, " L'Esprit et l'Eau ", mais bien précisément ces extraits. Son ampleur spirituelle et la vision cosmique de l'homme qu'il propose correspondaient précisément à mon état d'esprit d'alors. La musique, quant à elle, est venue naturellement, stimulée par sa beauté, comme pour lui offrir modestement un écrin de vie.

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L'Esprit et l'Eau a été commandé par le quatuor à cordes Stanislas et le baryton François Le Roux (commande d'État 1999).

Une première exécution de deux mouvements (I et III) eut lieu en mai 1999 dans la salle Poirel de Nancy. Un second mouvement a été inséré (II) et l'oeuvre sous cette forme en triptyque fut donnée à Caracas (mouvement II commandé par le Festival Francia-Venezuela - Ambassade de France), par les même interprètes, en juillet 2001. L'œuvre est maintenant complète grâce aux mouvements IV et V qui ont été composés à New York au printemps 2004.

Cette version, définitive, a été conçue en trois étapes sur une durée assez longue. En effet, le projet fut envisagé dès 1995 et les textes furent choisis en 1995 et 1996. La structure finale, quand à elle, fut établie précisément en 2000. Cette structure en cinq parties n'avait pas été conçue dès la genèse du projet. Cependant l'ampleur envisagée en 1996 sera finalement atteinte grâce à cette forme et correspond à l'ambition originale du projet.