I
- Où que je tourne la tête … |
Où
que je tourne la tête
Jenvisage limmense octave de la Création !
Le monde souvre et, si large quen soit lempan,
mon regard le traverse dun bout à lautre.
J’ai pesé le soleil ainsi qu'un gros mouton que deux hommes forts
suspendent à une perche entre leurs épaules.
Jai recensé larmée des Cieux et jen
ai dressé état,
Depuis les grandes Figures qui se penchent sur le vieillard Océan
Jusquau feu le plus rare englouti dans le plus profond abîme,
Ainsi que le Pacifique bleu-sombre où le baleinier épie
lévent dun souffleur comme un duvet blanc.
Vous êtes pris et dun bout du monde jusquà
lautre autour de Vous
Jai tendu limmense rets de ma connaissance.
Comme la phrase qui prend aux cuivres
Gagne les bois et progressivement envahit les profondeurs de lorchestre,
Et comme les éruptions du soleil
Se répercutent sur la terre en crises deau et en
raz-de-marée [
]
[
]
Et voici le vent qui se lève à son tour sur la
terre, le Semeur, le Moissonneur !
Ainsi leau continue lesprit, et le supporte, et
lalimente,
Et entre
Toutes vos créatures jusquà vous il y a
comme un lien liquide.
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II
- Possédons la mer … |
Possédons
la mer éternelle et salée, la grande rose grise
!
Je lève un bras vers le paradis !
je mavance vers la mer aux entrailles de raisin !
Je me suis embarqué pour toujours !
Je suis comme le vieux marin qui ne connais plus la terre que
par ses feux, les systèmes détoiles vertes
ou rouges enseignés par la carte et le portulan.
Un moment sur le quai parmi les balles et les tonneaux, les papiers
chez le consul, une poignée de main au stevedore ;
Et puis de nouveau lamarre larguée, un coup de timbre
aux machines, le break-water que lon double, et sous mes
pieds
De nouveau la dilatation de la houle !
Ni
Le marin, ni
Le poisson quun autre poisson à manger
Entraîne, mais la chose même et tout le tonneau
et la veine vive,
Et leau même, et lélément même,
je joue, je resplendis ! Je partage la liberté de la
mer omniprésente !
Leau
Toujours sen vient retrouver leau,
Composant une goutte unique.
Si jétais la mer, crucifiée par un milliard
de bras sur ses deux continents,
A pleinventre ressentant la traction rude du ciel circulaire
avec la soleil immobile comme la mèche allumée
sous la ventouse,
Connaissant ma propre quantité,
Cest moi, je tire, jappelle sur toutes mes racines,
le Gange, le Mississippi,
Lépaisse touffe de lOrénoque, le long
fil du Rhin, le Nil avec sa double vessie,
Et le lion nocturne buvant, et les marais, et les vases souterrains,
et le coeur rond et plein des hommes qui durent leur instant.
Pas la mer, mais je suis esprit ! et comme leau
De leau, lesprit reconnaît lesprit,
Lesprit, le souffle secret,
Lesprit créateur qui fait rire, lesprit de
vie et la grande haleine pneumatique, le dégagement de
lesprit
Qui chatouille et qui enivre et qui fait rire !
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III
- Comme l’arbre au printemps … |
Comme
larbre au printemps nouveau chaque année
Invente, travaillé par son âme,
Le vert, le même qui est éternel, créede
rien sa feuille pointue,
Moi, lhomme,
Je sais ce que je fais,
De la poussée et de ce pouvoir même de naissance
et de création
Juse, je suis maître,
Je suis au monde, jexerce de toutes parts ma connaissance.
Je connais toutes choses et toutes choses se connaissent en
moi.
Japporte à toute chose sa délivrance.
Par moi
Aucune chose ne reste plus seule mais je lassocie à
une autre dans mon coeur.
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IV - La terre, le
ciel bleu, le fleuve …
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La terre, le
ciel bleu, le fleuve avec ses bateaux
et trois arbres soigneusement rangés sur la rive,
La feuille et l'insecte sur la feuille,
cette pierre que je soupèse dans ma main,
Le village avec tous ces gens à deux yeux à la fois
qui parlent,
tissent, marchandent, font du feu, portent des fardeaux,
complet comme un orchestre qui joue,
Tout cela est l'éternité et la liberté de
ne pas être lui est retirée,
Je les vois avec les yeux de mon corps,
je les produis dans mon coeur !
Avec les yeux du corps,
dans le paradis je ne me servirai pas d'autres yeux que ceux-ci
mêmes !
Est-ce qu'on dit que la mer a péri parce que l'autre vague
déjà,
et la troisième, et la décumane, succède
A celle-ci qui se résout triomphalement dans l'écume
?
Elle est contenue dans ses rivages et le
Monde dans ses limites,
rien ne se perd en ce lieu qui est fermé
Et la liberté est contenue dans l'amour,
Ebat
En toutes choses d'inventer l'approximation la plus exquise,
toute beauté dans son insuffisance.
Je ne vous vois pas,
mais je suis continu avec ces êtres qui vous voient.
On rend que ce que l'on a reçu.
Et comme toutes choses de vous
Ont reçu l'être, dans le temps elles restituent l'éternel.
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V - Où est le vent
maintenant ?
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Où est le vent
maintenant ? où est la mer ?
où la route qui m'a mené jusqu'ici !
Où sont les hommes ?
il n'y a plus rien que le ciel toujours pur.
Où est l'ancienne tempête ?
Je prête l'oreille : et il n'y a plus que cet arbre qui
frémit.
J'écoute : et il n'y a plus que cette feuille insistante.
Je sais que la lutte est finie.
Je sais que la tempête est finie !
Il y a eu le passé, mais il n'est plus.
Je sens sur ma face un souffle plus froid.
Voici de nouveau la Présence, l'effrayante solitude,
et soudain le souffle de nouveau sur ma face. |
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