[1] PRELUDE [6:18]

[2] DISPUTE [4:40]

Un pont immense, dont la structure, au loin, se dissout dans la brume du soir au-dessus d'une grande ville.
Au pied d'une des piles du pont, des clochards endormis; deux silhouettes sont dressées: celle d'un homme adossé à un pilier, celle d'une femme émergeant d'un groupe de corps enchevêtrés.
Au pied de la pile suivante, inaccessible depuis la rive, une forme sombre, allongée.

Lou
Sept!
Jane
Non, six!
Lou
Sept! Je te dis!
Jane
Six! C'est mon dernier prix!
Le groupe
Six! Sept! Six!
Jane
Six! C'est mon dernier prix!
Lou
Sept! L'Aristo les prendrait pour huit.
Jane
Six! C'est à moi qu'ils vont!
L'Aristo a les pieds plats.
Une voix d'homme
Donne lui sept et fiche nous la paix!
Une voix de femme
Pourquoi qu'il demande sept?
Il les a payés quatre.
Le groupe
Sept! Six! Cinq! Quatre! Six! Sept!
Une voix de femme
Il les a payés cinq!
C'est moi qui les ai vendus!
Une autre voix de femme
Menteur! Je les ai trouvés.
Il les a eus gratis!
Le groupe
Menteur!
Une voix de femme
Il les a eus gratis!
Le groupe
Quatre! Sept! Cinq! Sept! Sept, sept, sept!
La Paix! Qu'on puisse dormir!
Léo
Dormir? Ce n'est pas le moment!
Le groupe
Six! Sept! Six! Cinq!
Six! Sept! Six! Cinq!
Léo
Le soleil est tombé. Debout, debout!
La nuit vient sur le fleuve, la grosse chienne crevée.
Son ventre va éclater.
Voilà notre heure à nous, les enfants de la Chienne!
Debout! Debout!
Protestation du groupe
Laisse nous dormir!
Je rêvais que j'avais toutes mes dents.
Voleur, rends-les-moi!
J'avais une femme dans les bras...
Moi, je croyais vivre en plein jour...
Un vieil homme
Moi j'ai rêvé d'un géant.
Il me piétinait. Je regarde, il est encore là.
Monseigneur, ne me pisse pas dessus aujourd'hui, s'il te plaît!
Le groupe (cantique grotesque)
Ô Grand Pont! Couvre-nous... Garde-nous...
Une Voix d'Homme
Ha, ha, ha!
Le groupe
Ô Grand Pont, ne laisse pas le malheur descendre...
Veille sur nous, Grande Carcasse.
Ne te couche pas aujourd'hui encore, même si tu es bien fatigué... Très fatigué...
Léo
Allons-y! Le passage est dégagé!

[3] SOMNILOQUIE [3:59]

Jane chantonne.
Léo
Tu perds du temps. Ta place là-haut sera prise.
Jane
continue à chantonner
Allons, va vite!
Jane
Je dois rester ici!
Léo
Ah? Pourquoi?
Jane
C'est mon affaire!
Léo
Ah? Donc c'est la mienne! Tu m'appartiens.
Jane
Viens me prendre, alors!
Léo
Foutue femelle! Gare à tes fesses!
Jane
Attrape-les donc si tu peux!
Léo
Je les tiens!
Oh! Je les tiens!
Tu vas être punie!
Jane
Aïe! Aïe!
On entend un gémissement.
Tu l'as réveillé! Malheureux...
Léo
Lui? Pas encore crevé?
Jane
En chuchotant.
Soit gentil, je te dirai un secret...
Léo
Je suis un amour, ma gueuse.
Le secret!
Jane
L'autre nuit, il a parlé dans son sommeil...
Léo
Qu'a-t-il dit?
Jane
Il a de l'OR.
Léo
De l'or, ce vieux pouilleux?
Jane
Chut! ... Chut! ...
Ecoute, il recommence ...
Virgile (Dans son sommeil)
Loin d'ici! Loin d'ici, profanes!
Eloignez-vous du bois sacré!
Léo
Quel charabia!
Jane
Il faut répondre. On saura tout!
Elle racle sa gorge et reprend sur le même ton que Virgile.
Je suis digne de te suivre ...
Parle sans crainte ...
Léo
Ha, ha!
Virgile
Toi!
Léo
Hum?
Virgile
Ouvre la marche, tire ton épée!
Maintenant il te faut du courage!
Léo
La voilà mon épée!
Ha, ha!
À l'assaut!
Virgile
Tendez-moi la main...
Léo
À l'assaut!
Virgile
Ouvrez la marche...
Jane
Je suis là, je suis là, là, ta main ...
Léo
Mon épée, à l'assaut, ha, à l'assaut ...
Jane
Je suis là ... N'aie pas peur.
Virgile
... la marche ... hum ...
Jane
N'aie pas peur ... Doucement ...
Léo
En s'occupant de Jane
Doucement ...
Jane
Mais faut payer, PAYER!
Léo (s'adressant toujours à Jane)
... il faut payer ...
Jane (s'adressant toujours à Léo)
Doucement!
Léo
Doucement ... Doucement ...
Jane
Le passage!
Ah ...
Où est ton trésor?
Léo (Comblé par Jane)
Ah, ah ... Mon trésor ...
Jane
Ah ... Ton magot!
Ah ... Ton fric!
Léo
Ton fric! Ah ...
On entend des bruits de pas sur les galets.
Virgile
Qui est-ce? Est-ce toi?
Il m'a semblé entendre ta voix.
Jane
Vieux bouc! Tu as tout fait rater!
Léo
Fallait pas tant bêler, ma chèvre!
Jane
C'est foutu ... Voilà l'autre...

[4] INTERLUDE 1 [1:27]

[5] LAMENTATION [4:00]

Véra
Pourquoi?
Pourquoi es-tu parti?
Ma vie, ma voix,
Tu me les as données.
Mon corps,
C'est toi qui l'as sculpté.
Tes mots aimés ont satiné ma peau,
Le vin de tes paroles a coulé dans mon sang,
Le feu d'amour a pris entre les signes,
Toi qui m'as dessiné le coeur,
T'en souviens-tu?
Des éclats de lumière la frappent.
Ah!
On va me voir, on découvrira ma cicatrice!
N'éclairez pas! N'éclairez pas!
Je me brise! Je me brise! Je me brise!
Les éclats de lumière me coupent ...
L'obscurité revient.
Là, c'est bien...
Les ténèbres à nouveau calment ma chair à vif...
Ma chair qui brûle, depuis le jour
Où tu as repris ton âme.
Du pauvre amour arraché
Le masque seul m'est resté.
Pourquoi m'as-tu abandonnée?
Reviens au monde.
Reviens pour qu'à nouveau
L'Etre épouse l'Apparence,
Pour que ton chant
Donne leur rythme aux planètes,
Viens nourrir ta création
Réduite à l'état d'écorce sèche...
Les éclats la frappent à nouveau.
Ton faisceau d'orgueil m'éblouit,
Il pétrifie tout ce qui est vivant...
Arrêtez!
L'obscurité revient.
Oeil unique, regard du Maître!
Je sais que tu ne m'attends plus,
Mais moi, au-delà de la trahison, je suis fidèle,
Et dans le mal, je reste innocente...
Je viens chercher l'amour que tu m'as dit.
T'en souviens-tu?
T'en souviens-tu?


[6] INTERLUDE 2 [1:04]


[7] SOMMEIL (1) [2:48]


[8] REVEIL [3:18]

Virgile
Dormir... dormir comme eux...
S'anéantir dans le chaos d'avant la création.
J'étais venu noyer ma douleur dans la boue, éteindre mon esprit.
Mais dans l'épaisseur des ténèbres,
Une étoile me tourmente encore.
D'où vient cette lumière que le soleil efface?
Est-ce moi seul qu'elle appelle?
Pas encore... Déjà!
Le goût du vent... Un murmure de la nuit...
Pas encore... Déjà!
Comme l'enfance déjà vécue et qui nous précède...
Comme la main s'ouvre et se ferme.
Le bruit du coeur, tu entends?
Pas encore... Déjà!
Comme l'amour, cette absence familière...
Chaque instant vécu:
Pas encore et déjà!...
Pas encore... Déjà
Hé, attends, ne me laisse pas seul... avec eux.
Loin d'eux... Loin de moi...
Si je pouvais dormir comme eux,
Mêlé aux plantes et aux bêtes
Dans la grande nuit d'avant la création...
Ou bien plonger dans la lumière,
Me dissoudre dans la grande spirale d'or.
Sortir du temps, par l'illumination ou l'abrutissement...
Comme ils sont laids.
Une voix
Regarde, regarde mieux,
Tu reconnaîtras tes abîmes et tes nostalgies.
Virgile
Ils sont ignobles...
Ils jouissent du sommeil comme d'un vice.
C'est si bon d'éteindre sa conscience!
La voix
Regarde!
Tu reconnaîtras tes abîmes et tes nostalgies.
Ils cherchent aussi la Beauté,
Ils tâtonnent, comme toi, vers les étoiles.
Virgile
Ah, sortir du temps par l'abrutissement, l'illumination.
C'est si bon d'éteindre sa conscience, si bon, si bon ...
La voix
Tu les voyais comme des idées,
Comme des morts,
Comme des morts.
Virgile
Je n'ai jamais regardé son vrai visage: le visage du Mal.
La voix
Regarde mieux!
Vers les étoiles ...
Virgile
Ah! C'est seulement par les larmes que l'œil acquiert la vision vraie.

[9] SOMMEIL (2) [1:59]


[10] MORT DE VIRGILE [6:33]

Virgile
Va-t'en!
Chien hideux,
Mangeur de charogne...
Ah si seulement je pouvais
Ramasser un caillou pour te le jeter,
Faire éclater ton crâne grimaçant!
Surtout, ne pas te quitter des yeux...
Tu en profiterais pour mordre,
Pour m'arracher un membre,
Fouiller mon ventre...
Je ne crie pas assez fort pour que tu m'entendes.
Alors tu rôdes, lévrier de la mort!
Tu n'es pas seul,
Je vois des ombres traverser le ciel...
Allez-vous en!
Allez-vous en!
Vautours déplumés,
Arracheurs de viscères...
Ah si j'étais debout,
Un seul geste vous éloignerait à jamais
Comme un mauvais rêve!
Allez-vous en!
Dévoreurs de cadavres,
Laissez-moi seul
Attendre la venue de votre Reine...

Est-ce la nuit qui revient?
Est-ce toi? déjà?
Je vois ta silhouette pâle avancer.
Tu viens pour un autre!
Un qui savait chanter...
Pas encore! Non, pas moi!
Attends! J'abandonne ma voix!
Tu veux davantage?
Emporte mes visions,
Prends tout!
Le diamant pur de mon esprit.
Arrache-le!
Ce n'est pas assez?
Tu veux l'orgueil? Tiens!
La dignité? Voilà!
Dépouille-moi du nom de créature humaine.
Et du souvenir d'avoir aimé;
Et du souvenir d'avoir existé,
Mais laisse mon coeur battre encore un peu.
Tu ne veux pas marchander?

Les bêtes sont parties, mais je sens une morsure...
Oh, ce n'est pas mon corps qui souffre!
Ce n'est pas toi, ma vieille étrave, qui te brises,
Mais c'est là-haut, dans la mâture,
Dans les vergues de l'âme
Qui tremblent au vent glacé de l'inconnu,
Dans le linceul déroulé des voiles qui tressaillent,
C'est là qu'on me tient!

Ni ciel, ni terre,
Ni corps, ni âme...
Rien qu'un vomissement du néant,
Vers le néant.
La lumière qui veillait encore va se noyer.
Est-ce le jour qui revient?
Est-ce toi?
Ah! Me dissoudre dans le lait de ma semence,
Souille infiniment pure.
J'ai entendu un cri il y a longtemps.
C'était ailleurs, il faisait sombre...

[11] SPIRALE [1:52]

À présent, il ne reste plus de contours,
Plus de ténèbres ni de lumière,
Mais une spirale,
Une spirale faite de nombreux visages.
Sans yeux, ils regardent,
Sans voix, ils chantent,
Sans mémoire, ils se souviennent,
J'étais là-bas...
Je battais si loin
De mon coeur...
             Je reviens...
                           Je reviens...
                                           Je ...

[12] POSTLUDE [4:56]