Juan Arturo Brennan
"La Nave de los Locos"
Mexico City (1999)
 


 
UNE OEUVRE QUI TRAVERSE LES SIECLES.

C’est au cours du Carnaval de l’année 1494 que “La Nef des Fous” du strasbourgeois Sebastian Brant est publiée à Bâle. Composée de 112 chapitres indépendants les uns des autres, l’oeuvre obtient un succès immédiat et devient l’un des livres les plus lus au cours du 16ème siècle.

Le thème a été depuis utilisé de nombreuses fois, ainsi la peinture de Bosch “La Nef des Fous” (Musée du Louvre, Paris), “Eloge de la Folie” d’Erasme, certaines parties du Pantagruel de Rabelais, ou des “Essais” de Montaigne, etc … La Nef des Fous semble avoir été inspirée par une tradition de Mardi Gras (Haut et Bas Rhin), ou bien par d’étonnantes et réelles pratiques villageoises, décrites dans “l’Histoire de la Folie” de Michel Foucault. Elles consistaient, selon le philosophe, à faire embarquer les fous de la région sur le Rhin, et à les laisser dériver vers le royaume de la folie, “Narragonia”.

Chacun des chapitres est consacré à la description d’une folie, d’une passion ou d’un vice. A chacun d’eux correspond une gravure (pour certaines attribuées au jeune Dürer) qui donne une image saisissante de la folie dont il est question. Elles sont accompagnées d’une très brève description, d’une morale ou d’un dicton (populaire ou inventé par l’auteur). Ce texte, dans l’adaptation française versifiée de Marc Gautron, formidablement contemporain, drôle, dérangeant, nous dépeint les excès humains tels le pouvoir, les racontars, la calomnie, l’adultère, la vanité, la grossièreté, la flatterie, etc …

L’adaptation théâtrale que nous proposons est basée sur l’oeuvre de Brant et sur l’oeuvre musicale de Lancino dont elle s’inspire. Elle consiste en une série de miniatures musicales de 1 à 5 minutes chacune, chantées par une soprano et un baryton, accompagnés d’un petit ensemble instrumental. Construites sur des aphorismes, elles sont liées entre elles par le texte de Brant, déclamé par un acteur. Le texte est mordant et vif, étonnamment proche de nous, et, présenté dans ce contexte poétique et musical original, prend une dimension nouvelle.

Composée cinq siècles après que Brant ait terminé son ouvrage, la musique est ironique, parfois grave, suivant de près le texte qu’elle exprime, ainsi que les gravures qui l’accompagnent. De cette production, dans laquelle la musique, les mots, les voix et les images se mélangent dans un extravagant scintillement, émerge un monde imaginaire proche de celui de Jérôme Bosch. La musique originale, inspirée et conçue directement d’après le texte et ses gravures, est rehaussée par la variété des couleurs instrumentales et des couleurs vocales utilisées par le compositeur.

Les spectateurs embarquent gaiement et parfois gravement pour un voyage éperdu vers le pays des vices et des passions.